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Analyse de l’œuvre

Propositions de travaux en classe

Les cinq premières illustrations sont une introduction à la légende.

Illustration n°1

C’est la légende d’un Prince dans un pays merveilleux
Et de ses moments de bonheur, trois générations durant,
Hiver, printemps, été, automne
Et ce, en dépit des souffrances et de la faim.

On utilisera cette illustration pour amorcer une première discussion sur l'album et pénétrer le monde de la légende et de la réalité des enfants du ghetto de Lodz.
Pendant que les élèves observeront l'illustration, l'enseignant pourra présenter l'arrière-plan historique du ghetto.

Sans illustration

Dans un palais majestueux, entouré de ses compagnons,
Règne un roi puissant et sans égal.
Sur ponts et moulins il étend son bras long
Des messages d’abondance il dépêche au lointain.

Au moment où la guerre a éclaté, les Juifs n'étant pas encore enfermés dans les ghettos, Rumkowski était alors responsable de l'éducation juive de Lodz. Car, en dépit des dangers que cela représentait, les enfants et leur éducation étaient un sujet qui lui tenait particulièrement à coeur. A la création du ghetto, des écoles furent installées et leurs activités continuèrent. Malgré les difficultés et les problèmes que posait l'enseignement des études, deux sessions du baccalauréat ont pu avoir lieu au sein du ghetto.

En janvier 1942, avec le début des déportations vers le camp d'extermination de Chelmno, le travail au ghetto signifiait alors la vie. En septembre 1942 le ghetto devint un camp de travail: celui qui ne travaillait pas – était expulsé. S'inquiétant du sort des enfants, Rumkowski réunit tous les directeurs d'usines et exigea qu'ils allouent, pour chaque usine, 10 pour cent de la force de travail pour l'emploi des enfants et adolescents. Ces jeunes travailleurs recevaient une portion de soupe – ce qui était considéré en soi comme très généreux vu les conditions de famine qui régnaient dans le ghetto – et qui leur a permis de survivre quelque temps.

Illustration n°2

Sous un poids écrasant ploie le corps de l’enfant :
« Le monde ne changera-t-il pas ? »
Le cœur du Prince se contracte de douleur
A la vue du visage triste de l’enfant,
Quand, dans le silence du palais,
Retentit le chant du coq
Et au loin errent les aspirations royales.

« Szkolka » est le terme polonais pour « petite école ». 
Des écoles de ce genre ont été établies dans les ateliers du ghetto de Lodz dans le but de former les enfants et adolescents dans leurs nouvelles fonctions. Les éducateurs souhaitaient alléger le fardeau de ces jeunes, du moins un peu, et leur assurer un minimum de scolarisation, qu’ils ne grandissent pas dans l’ignorance. Pour cela, des cours de formation professionnelle furent offerts aux jeunes enfants et adolescents pour les familiariser avec leur ouvrage ; ils recevaient aussi des cours d’arithmétique, de Yiddish et d’études générales.
Léon Glazer avait de la peine, c’est peut-être lui le Prince de la légende, à voir la souffrance de ces jeunes enfants qu’il rencontrait jour après jour à l’usine qu’il dirigeait.
Selon votre opinion, que représente le palais et que signifie l’expression « aspirations au loin » ?

« Programme pour la nouvelle année :
Le programme est travail, travail et encore travail. Avec ferme résolution, j’aspire à trouver du travail pour tous, du travail à la coopérative, à l’usine ou comme concierge ou chauffeur de tram. En réalisant le cadre de mon plan, je pourrai convaincre, à l’aide de chiffres que nul ne pourra nier, que les Juifs du ghetto sont un facteur productif, et de facto nécessaires. »
 

Chronique du ghetto de Lodz, Editions Yad Vashem, 1ier volume, janvier 1941-mai 1942, page 341.

« Y-a-t-il des enfants dans ce ghetto ? Cette espèce en voie d’extinction bien avant 
qu’elle se développe et prenne le nom d’enfant. Un enfant, s’il a la chance d’éviter la mort, devient immédiatement un Juif adulte accompli. Il n’y a pas d’enfants au ghetto ; il n’y a que des petits Juifs, les moins de dix ans qui ne travaillent pas et font la queue aux cuisines et à la distribution du pain et… ces petits Juifs de plus de dix ans qui travaillent déjà. Ils n’ont pas encore de barbe, ni de femmes, et pourtant ils travaillent »
 (…)

« C’est dur, et en plus du fait que ce petit Juif, qui n’a aucune chance de grandir, doit se poster impérativement à 7heures pile à son travail, comme tout soldat discipliné.
Chaque retard est sanctionné de 50 pfennig qu’on lui déduit de son « salaire ». 
Et pour qu’il se poste à 7heures pile au travail, il doit se lever à 6heures du matin, et pour ce petit Juif, chaque heure où il est debout en éveil signifie une heure encore de plus qui s’ajoute à ses souffrances de la faim et des privations. »
 (…)

« Et leurs petites jambes n’ont pas encore gonflé, c’est par ce qu’ils n’ont pas à porter
un corps plus grand comme celui de leurs parents, par contre ils ont le dos courbé, déformé, la poitrine qui tombe, les yeux éteints et absents, leur regard tourné dans le lointain, étranger et froid, tout comme le ciel d’aujourd’hui… »

Josef Zelkowicz, En cette période sombre, écrits du ghetto de Lodz, Editions Yad Vashem, pages 182, 184, 185.

Illustration n°3

Les rivières ont gelé, les cigognes ont depuis longtemps déserté.
La neige a recouvert le sol de son manteau blanc
Et cependant notre bon et généreux roi
Se dévoue corps et âme à la cause, 
Il ne nous décevra pas.

L’hiver décrit dans ce passage enveloppe le pays de froid et de neige, pendant que le roi « se dévoue corps et âme à la cause ». Est-il possible qu’il songe à préparer le paradis pour les enfants ? Il y a là une reconnaissance des efforts du roi (Rumkowski) pour alléger de son mieux les souffrances des enfants, sujet qui lui tient très à cœur.
Et pourtant, dans l’illustration, la neige est recouverte d’une épaisse couche de verdure, les cimes blanches des montagnes sont dans le lointain. Un arbre a poussé de ces verdures, et ses fruits dont le dessin a la forme de visages de femmes (certainement des enseignantes de l’école des enfants) expriment à la fois un sentiment d’autorité et de sécurité pour les enfants. C’est sans aucun doute une scène pastorale, au sein de la nature – peut-être même le Paradis – avec un pré, un arbre, et des petites files qui cueillent des fruits. Mais un regard plus exercé sur ce dessin révèle que le tronc de l’arbre est tordu, déformé, que ses branches n’ont pas poussé du tronc mais lui été « greffées ». Peut-être que ses branches naturelles lui ont été coupées, que la greffe représente peut-être un moyen de revitaliser l’arbre.
Le soleil rouge et menaçant, ainsi que la barrière défoncée, thèmes récurrents dans les illustrations de la légende (réf. Préface) apparaissent encore ici.

Illustration n°4

Par un bel après-midi d’été
Sous un beau et chaud soleil,
Près d’un ruisseau et d’un arbuste à myrrhe,
Les anges ont déclaré ce message :
Quiconque désire rester au Paradis,
Ne doit pas perdre un seul moment
Et franchir à l’instant la ligne d’arrivée.
Qu’il vacille, il ne se relèvera pas
Et sera chassé du Paradis à jamais
Et sera exilé dans son ancienne contrée.
De loin déjà ils aperçoivent l’obstacle.
Celui qui réussira et accomplira sa mission,
Sans faillir et sans s’effondrer,
Sera ordonné chevalier
Et à la cour sera honoré.
Tous ont oeuvré pour la gloire de leur pays,
Avec force et courage, de longues heures durant,
Penchés sur leurs machines à coudre.
Les robes volent et passent les portes,
Les ceintures s’empilent de partout,
Car le sort du Paradis est entre leurs mains.
Quiconque saura franchir cet obstacle,
Ses mains ne cessant de coudre et coudre,
Qui se tiendra droit,
Sera grandement récompensé.
Ils ont parcouru une route longue et cahoteuse,
Et voici que devant eux brillent des lumières.

Les activités des jeunes à l’usine étaient dirigées par un jeune éducateur, Moshe Markowitcz qui, aidé de sa femme, organisait les activités scolaires et culturelles de ces jeunes. Les efforts de Markowitcz permettaient aux enfants d’avoir quelques heures de répit et de bonheur, loin des privations, de la famine, de la maladie et de la mortalité qui les guettaient dans le ghetto. Et c’est dans ces conditions que l’album a été confectionné. Dans le paradis mythique, les jeunes, au lieu de travailler, mangent le fruit de l’arbre. Dans leur « paradis » réel, ils doivent justifier leur existence par de durs labeurs ; autrement « ils seront exilés dans leur ancienne contrée. »

« A l’usine de confection, des cours d’apprentissage été créés pour former les jeunes à la couture. La mise en place de cette institution résolvait d’une manière efficace le problème de la formation des enfants et d’adolescents à la couture, métier des p[lus courants dans le ghetto. Les usines de confection emploient environ 2,000 enfants qui apprennent ce métier, sans exception dans tous les ateliers de couture.
Chaque atelier et d’autres entreprises similaires envoient les enfants les plus doués dans ces cours d’apprentissage. Les circonstances spéciales dans le ghetto, exigeant une capacité d’accoutumance à toutes sortes de conditions difficiles, faisaient que ces cours étaient plus que des cours accélérés et à un rythme effroyable. On n’a pas le temps aujourd’hui d’étaler un cours, comme on l’aurait fait en temps ordinaire ; un jeune doit être formé en temps record. Le cours d’apprentissage devrait durer deux mois seulement. Chaque session comprend 300 enfants. Les études ont lieu de 8 heures à 16heures, dans douze groupes. Deux heures par jour sont consacrées à l’apprentissage de la couture sur la machine à coudre, et deux heures pour coudre à la main. Les enfants apprennent aussi la coupe et le dessin professionnel, la connaissance des tissus 2 heures par semaine et pour l’utilisation des machines. Un cours par semaine est consacré à l’enseignement de la comptabilité et à la tenue des livres, une heure par semaine est consacrée aux principes d’hygiène. La direction du comité des centres de formation ne négligeait pas pour autant les études académiques et instituait dans leur programme un cours journalier de Yiddish. Le sabbath les cours ont lieu de 8 heures à midi. L’équipe est composé d’éducateurs et d’enseignants. 
Pour le confort des enfants, une salle à manger est à prosmicuité, dans laquelle les enfants peuvent prendre leur repas distribué par le ghetto à la population active.
La mise en place de ces centres d’apprentissage doit sans aucun doute être considérée comme un événement d’importance pour le futur des enfants vivant au ghetto. »

B.[Bernard] O.[Ostrowski]

Chronique du ghetto de Lodz, op.cit. volume 2, pages 137-138.

Illustration n°5

Une baraque est là qui attend,
Plutôt petite, quelque peu sans charme.
De ses portes ouvertes, trois couples s’approchent en pleurant.
Une aiguille, l’œil en larme,
Une bobine de fil avec une jambe trop courte,
Des ciseaux sautillant et pleurant d’amertume,
« Quel malheur, dans quel pétrin s’est-on fourrés ! »
Tout le temps la bobine avance en tête,
Suit la machine à coudre, roulant en frémissant de rage et de colère.
Le tabouret, à ses cotés, avance, découragé.
Dans leurs yeux se lit un courroux impuissant :
« Quel destin ! Nous avons été envoyés chez les enfants ! »

La « baraque » est le bâtiment de l’école de couture, là où les fillettes sont formées pour travailler dans les ateliers de l’usine. Le matériel et articles de couture ont un rôle particulier : ils représentent la survie. Les objets sont décrits d’un côté dans un contexte de parodie et de grotesque, et d’un autre côté, ils dissimulent leur douleur.
La combinaison de ces deux attitudes est confuse pour le lecteur.
La description de la bobine, de l’aiguille et des ciseaux qui s’avancent en direction de la baraque a un coté drôle et humoristique. La machine à coudre et le tabouret sont dessinés dans un style cubiste qui viole les formes conventionnelles.

Puis qu’il est malséant sinon interdit de gémir ou de se plaindre à cette époque, les émotions des enfants assignés à des travaux qui ne conviennent pas à des enfants, sont exprimées dans les pleurs de l’aiguille, la bobine handicapée, les ciseaux qui soupirent, la machine à coudre furieuse et le tabouret rejeté.

Illustration n°6

Manifestement cela tourne au conflit :
« Allez au petit atelier de production » dit la bobine,
« C’est là que nous avons été assignés. »
Ajoute-t-elle avec détermination et passion.
Une foule d’enfants se précipite à l’intérieur,
Une longue file se forme, la tension monte ;
Le premier jour de travail va commencer.

Remarquez la taille de la machine à coudre et la bobine de fil qui, dans le dessin précédent, était en larmes, s’investit maintenant dans le rôle de dirigeant, d’enseignant, et qui avec le sourire tente de rétablir l’ordre dans cette pagaille.

Illustration n°7

La sueur perle au front de la fillette
Elle cherche désespérément de l’aide… en vain,
C’est à cause de ces farces et tours que commettent,
Avec cruauté et méchanceté, ces petits démons et nains 
Qui ne cessent de défaire tout ce qu’elle a cousu.

Etre reçu au centre d’apprentissage de couture (szkolka) signifiait la « vie ».
Le combat des enfants pour acquérir la pratique de la couture est l’exemple même de leur lutte pour vivre.

« J’ai commencé à travailler. J’ai posé un bout de tissu sur l’autre, comme on me l’avait appris. J’ai tourné la roue de la machine et fait marcher la pédale avec mes jambes. A mon grand étonnement, la machine s’est mise à marcher. Cela faisait un bruit agréable. Les pièces de tissu avançaient, je pris deux autres morceaux, et encore deux et ainsi de suite. J’étais vraiment contente. Mon oncle avait raison ; je savais coudre sans aucun doute. Quel dommage que mon père ne puisse pas me voir maintenant. Il ne sait même pas que j’ai du travail. Mais que s’est-il passé ? J’ai à peine bougé les pièces « finies » que tout s’est détaché, comme si cela n’avait jamais été cousu. Je ne comprenais vraiment pas pourquoi, la machine avait marché après tout. » (…)

« J’ai fait d’autres tentatives et puis je me suis arrêtée. Cela ne valait pas la peine de continuer. Je m’étais réjouie en vain. Mon pauvre oncle m’avait bien appris à faire marcher la machine à coudre, mais il ne m’avait pas dit qu’il fallait enfiler l’aiguille… »

Sarah Palger-Ziskind, « Splendeur perdue dans le ghetto de Lodz et dans les camps »,Tel Aviv (1978), traduit de l’hébreu, pp 56-57, Editions Lochamei Hagettaot – Kibbutz Hameuchad

Illustration n°8

Ouf ! Tous les obstacles se sont dissipés !
Tous les ennuis ont disparu,
A présent, la joie règne dans le cœur de tous.
Dans la grande salle
Le dur labeur, les soucis sont oubliés… pour l’instant.
Des murs accrochés, les modèles ont sauté aux cotés des enfants
Les petites ouvrières ont sauté et tout abandonné,
Et en dansant et tourbillonnant, elles sont sorties.

Le texte nous décrit une atmosphère de gaieté, pleine d’entrain mais avec exagération.
« Des murs accrochés, les modèles ont sauté…les fillettes ont tout abandonné », cette scène se caractérise par une ambiance de joie théatrale.
Y-a-t-il vraiment lieu de se réjouir ? Est-ce que cette illustration exprime-t-elle réellement la joie ?

Les examens de couture et l’admission des enfants à l’usine, sont des « moyens » pour que les enfants puissent rester au ghetto. Tous font partie de ce stratagème : les parents, les enseignants, les enfants, les directeurs d’usines, les tailleurs et couturières, et tous participent à ce moment de « joie » quand l’enfant a réussi et se fait accepter à l’usine. 
Dans le dessin, les joyeuse fillettes sont penchées exagérément en arrière, et les faces des modèles de patrons apparaissent comme des masques grotesques. Le parquet est dessiné en lignes obliques, ce qui crée un climat de malaise, qui s’avère plus aigu avec cette perspective du parquet vers le haut. Même le raccord des murs présente une certaine déviation. La fenêtre est petite et déformée et le soleil rouge est là qui guette…

« "Ecoutez", dis-je à la directrice, et j’ai senti mes joues s’enflammer, "je n’y arrive pas, car ce n’est pas possible. Je ne sais pas coudre, Je n’ai jamais touché une machine. " Et là, malgré mes efforts désespérés, je n’ai pas pu me retenir et j’ai éclaté en sanglots.
"Je vous ai menti, mais je ne suis pas une menteuse, je ne voulais pas dire de mensonges. Je voulais du travail et du pain !"
Presque toutes les machines ont cessé de marcher. Toutes les têtes se sont tournées dans ma direction. J’étais debout, honteuse, et ne cessai de gémir. 
"Et puis moi…je n’ai pas dix-huit ans, je n’ai que quatorze ans" ai-je avoué en pleurant. Je m’attendais à des réprimandes, à des humiliations. Et soudainement j’ai senti une caresse. Une main douce s’était posée sur ma tête.
"Ne pleure pas, mon enfant, j’ai tout de suite vu que tu n’avais pas dix-huit ans, mais ce n’est pas grave, tu resteras ici et tu travailleras. Même les jeunes de ton age nous sont nécessaires ici, nous te trouverons quelque chose à faire, et avec le temps nous t’apprendrons à coudre à la machine." »

Sarah Palger-Ziskind, « Splendeur perdue dans le ghetto de Lodz et dans les camps », op.cit. page 57.

Illustration n°9

Tout s’est éclairci ; les obstacles ont disparu.
Démons et nains ne sont plus malins.
Ils sont là à gambader, à rigoler, en toute gaieté.
Tristesse, sauve-toi ! Pars, disparais !
La joie est notre royaume !
Ha, ha, ha!

 

(illustration photographique) « le premier essai » 
« A travers les larmes j’ai commencé à sourire. La responsable me paraissait tel un ange venu du ciel. Je suis restée à ce travail. On m’a placée sur le côté d’une table et j’ai attaché les crochets des corsets. J’ai fait ce travail quelques semaines seulement. 
La directrice avait tenu sa promesse, et c’est elle en personne qui m’apprit à coudre.
Mon statut s’est amélioré. On m’a replacée devant une machine à coudre, entre deux ouvrières. Cette fois-ci je savais coudre pour de vrai. »

Sarah Palger-Ziskind, « Splendeur perdue dans le ghetto de Lodz et dans les camps », op.cit. page 57.

Illustration n°10

Tristesse et inquiétude vont main dans la main
Elles ont dû éviter la petite école de Glazer,
Princesse Allegresse et Prince Joyeux
Ne manquent pas un seul jour d’école.
Qu’il est bon de gambader avec la Princesse dans la liesse
Qu’il est bon de travailler avec le Prince dans le bonheur.
Et le petit malin, avec ces tours de farce, renverse tabourets
Et ces facéties font rire même à l’heure du travail.
Les jours passent comme dans une légende dorée,
Chaque jour est un jour de doux bonheur.

« Tristesse et inquiètude » ne peuvent pas avoir accès à l’école, elles symbolisent les dures réalité de la vie réelle au sein du ghetto et elles n’ont pas droit de se mêler au spectacle de l’école.
A l’école, des personnages joyeux et grotesques sont mis en scène pour mieux représenter l’ambiance qui régnait. Le roi, avec sa couronne inclinée, passe et salue de la main ses sujets « Joyeux et Allégresse ».
Il est possible que l’illustrateur voie d’un regard satirique Rumkowski et ses rapports avec les écoles et les enfants et c’est qui explique peut-être sa couronne de travers.

Illustration n°11

La neige recouvre encore le sol de son blanc manteau
Et pourtant les petites ouvrières se font plus nombreuses,
Les portes des ateliers se sont grand-ouvertes 
Des jeunes filles se mettent dans la file.
Devant les portes béantes, sans hésiter
Elles ont crié : « Entrons ! » et sont entrées.
Le visage illuminé, le sourire aux lèvres
Et d’une voix haute ont déclamé « Santé ! »

Avec le temps d’autres centres d’apprentissage de couture s’ouvrent, permettant à d’autres enfants de s’intégrer au marché du travail, de pouvoir rester au ghetto et en conséquence de ne pas être envoyé vers les camps d’extermination.
Dans cette scène, les enfants avancent dans un paysage pauvre et aride, paysage qui s’étend au delà du portail grand ouvert. Aux nouvelles recrues viennent s’en ajouter d’autres qui semblent avoir déjà vécu cette horrible expérience. Est-ce que cette illustration est-elle réellement fidèle à la représentation de la réalité ainsi racontée dans la légende ?

Ateliers de confection :
« 29, rue Franciskanska, là où avaient lieu les cours d’apprentissage pour soixante enfants passeront maintenant à l’accueil de plusieurs centaines d’enfants. Dans ce but H. Warszawski a tenu une réunion avec les directeurs des ateliers qui ont vu l’urgence d’aider au développement de cette importante institution. 
»

Chronique du ghetto de Lodz, op.cit, vol. 2, juin-décembre 1942, p.343.

Illustration n°12

Elles se précipitent tel un torrent tumultueux
Elles remplissent toute la baraque,
Elles envahissent les couloirs,
De partout, des visages étrangers.
« Il n’y a pas de place pour bouger ! C’est bondé !
Ma jambe s’est coincée dans la cheminée !
Oh, ma main dans la fissure du mur !
Oh ! ma pauvre jambe, j’ai une crampe…
Nous sommes couchés comme des sardines en boîte,
Je ne peux plus bouger! J’en ai des frissons !
Au secours ! Laissez-moi bouger le genou !
Regardez !? Là-bas, ils nous montrent la route ! »

L’invasion de l’école par les nouvelles recrues est décrite d’une manière absurde, un peu dans le style de « une vieille dame qui habitait dans un soulier… ».
Les lamentations concernant les souffrances de la congestion sont exprimées par des hyperboles comiques – une jambe coincée dans la cheminée, des enfants serrés comme des sardines en boite. C’est ainsi que les anciennes recrues doivent se sentir devant ce manque d’intimité et face à des ressentiments envers les nouvelles arrivées qui sont la cause de cette promiscuité étouffante. Il s’agit de ressentiments qu’elles ne peuvent en aucun cas exprimer ouvertement, car elles doivent leur vie sauve, du moins pour l’instant, aux « ressorts » usines.
La baraque, aussi gonflée qu’une pomme de terre, se tient sur une pelouse verte, un parterre de fleurs l’entoure. Nous avons déjà observé une pelouse verte dans l’illustration 3.

Illustration n°13

C’est l’aurore, le soleil, caché par la montagne, envoie ses rayons d’or.
Il illumine la crête et en un instant se découvre.
Ici et là, derrière les bosquets, les ombres jouent 
Et disparaissent, les rayons jettent leurs feux de partout.
Des parterres de fleurs surgissent ici et là
Et viennent, comme dans les légendes, envelopper le château.

C’est en fait la première illustration qui nous présente le soleil de couleur jaune. 
Les couleurs sont lumineuses et cette scène est inondée de soleil. La lumière et la chaleur émanant de ce paysage sont là pour couvrir les ombres de la réalité quotidienne du ghetto… mais ce n’est pas très clair si le chemin mène réellement à la baraque.
L’illustration et le texte relèvent de la légende, mais la dernière phrase « mais comme dans les légendes » nous ramène à la réalité.
Est-ce une fantaisie qui fait suite à la précédente illustration ? Serait-il possible que la jeune fille, la main tendue de la maison, pense réellement être arrivée au palais, son lieu de destination secret.

Illustration n°14

Ses portes s’ouvrent facilement et une bande joyeuse sort en courant
Des cris de joie montent dans le ciel,
Hi-hi ho… quelle joie, quelle allégresse.
Les jeunes filles s’essoufflent,
C’est le grand réveil, le printemps est dans l’air.
La bande d’enfants, chantant en ce beau mois de mai,
Franchit en vainqueur la porte du château, le Paradis.
Le bonheur est leur compagnon et la joie est leur amie.
De loin on entend des supplications
Et la tristesse vient assombrir le regard des enfants
Déjà voilé par les larmes.
Nombreux sont les obstacles qui les guettent sur leur chemin,
Et pourtant ils sont déjà en route pour là-bas –
Là où la rivière prend sa source, la joyeuse troupe chante,
Et les murailles se remplissent de joie,
C’est ici que de l’aube au crépuscule montent les supplications.

Les jeunes filles ont atteint le paradis. S’agit-il du palais, du « ressort » ?
Les fillettes dans l’illustration sont joyeuses et jouent ensemble. Les fenêtres de la maison sont grand ouvertes, des fleurs de toutes couleurs et une pelouse embellissent cette scène. De même que les oiseaux survolant le ciel. Cette situation extrêmement particulière exprime le fossé qui existe entre ce lieu de chaleur et de sécurité, dans sa tentative de protéger les enfants, et entre la sombre réalité de l’extérieur. L’extérieur - la déportation, la faim et la maladie – l’intérieur, des murailles imprégnées de joie.
Les fillettes se trouvent dans une cour avec des plantes en abondance.
Serait-ce une partie du palais de rêve que les fillettes ont rêvé ? Le soleil est de plus en plus incliné vers l’ouest ? C’est l’heure entre les deux soleils. Avec le coucher du soleil se fait ressentir chez chacun cette prémonition concernant le destin du ghetto. Nul ne croit plus aux miracles.

« Aujourd’hui le coucher de soleil est tout à fait différent de tous les autres jours. Le coucher de soleil était bien des fois signe de répit, de repos pour les corps épuisés et affamés. D’autres fois le coucher de soleil était accueilli avec reconnaissance : "Que le Seigneur soit remercié, une journée vient de s’achever dans le ghetto…  Des fois encore, le coucher de soleil était vivement attendu : le moment où l’on revoit sa femme dont on a été séparé de toute la journée, chacun occupé à divers travaux. Après une journée de séparation, on se retrouvait, parents et enfants, autour d’un misérable souper. On rencontrait les voisins dans la cour, on parlait de nos soucis et l’on respirait un air infesté, infesté mais meilleur que celui des appartements bondés
et moisis. Chaque jour est une nouvelle attente du coucher de soleil. Mais aujourd’hui – combien seraient prêts à donner de leur vie pour que le soleil ne se couche jamais – que ce jour ne voit pas la fin et qu’il dure jusqu’à la fin des temps, que demain, ce sombre demain ne vienne jamais !? Où est Josué qui a dit :
"Soleil, arrête-toi sur Gabaon !" (La Bible, Josué, chap.10, verset 12, Ed. Sinai, Tel Aviv, Israel, 1994)
 »

Josef Zelkowicz, « En cette période sombre », op.cit., p.281.

Illustration n°15

Ils grimpent un chemin étroit et escarpé,
Autour d’eux, une sombre forêt. A chaque moment
Des ronces empoisonnées peuvent les blesser de leurs épines.
Et des gouffres qui s’ouvrent,
Un serpent géant surgit de chaque trou béant, les menaçant de son venin,
Monstrueux reptiles, lisses et gluants.
Avec d’horribles bestioles se cramponnant à leurs pattes,
Des insectes, des vers de toutes sortes. 
Ils sont arrivés à un carrefour - ils respirent de soulagement.
Mais ce n’est qu’une vaine illusion ; sous leurs yeux
Surgit un dragon horrible et menaçant, créature immonde !
Et voilà que reprend la lutte des titans.
Un dur combat, un monstre pour adversaire, face à face.
Les temps sont difficiles, les jours fatidiques, 
Avec de nouvelles inquiétudes, de nouvelles souffrances.
Quelques-uns se sont retranchés, le courage les a abandonnés,
D ‘autres continuent, ils ne sont qu’un petit noyau
Plein de volonté, de détermination et de courage,
Plus dur que la pierre, nul ne les vaincra, nul ne les épuisera.
Ils ne craignent ni les sorcières, ni les chats ni les chouettes,
Rien ne les effraie, même pas ce dragon à trois têtes.
Voilà que la gigantesque muraille se dresse devant eux.

Mais tous les enfants ne sont pas arrivés. Beaucoup font face aux obstacles qui se dressés sur leur chemin. Ils doivent faire de très gros efforts pour avoir la pratique de la couture qui est la voie ouverte au « ressort », à l’usine.
Un travail ardu les attend près des machines, faire face au quota de rendement, et tout cela, dans des conditions de travail des plus difficiles.
Est-il possible qu’une inspectrice sévère leur barre la route ? S’agit-il de quelqu’un « haut-placé », au bureau central de l’éducation dans le ghetto (W. Szkolny), ou bien à la direction des usines (le « Centrala ») qui retarde leurs demandes de permis (Podanie) ?
Seul un petit groupe d’enfant est arrivé au palais. Signifie-t-il le Paradis ?
Comment sont-ils parvenus jusqu’ici ? Nous l’ignorons.
Du fait de leur habilité à coudre, ou du fait de relations bien placées, ou du fait qu’ils ont survécu aux privations, ou bien aussi qu’ils ont pu être sauvés d’une « aktia ». 

Illustration n°16-17

La muraille est haute, épaisse, dépassant toute imagination,
Au pied, des douves remplies d’eaux meurtrières.
Que se passe-t-il ?
Le Prince sort de sa cachette, vêtu de magnifiques habits,
Ce jeune prince, beau et charmant.
Il abaisse le pont au-dessus de l’eau,
Et tend la main aux enfants,
Dans ses yeux la joie se lit,
Son visage resplendit de bonté et de bonheur.
C’était une très belle matinée ; une brise fraîche
Soufflait dans la cime des arbres
Et caressait le visage des enfants,
La rosée de l’herbe rafraîchissait les pieds des enfants, 
Apaisant ainsi leurs blessures.
Ils ont été conduits dans une salle vaste et très lumineuse
Et là leur est apparu un ange vêtu avec magnificence.
Les visages, à sa vue, s’éclaircirent ; leurs inquiétudes disparurent.
Un enchantement féerique régna; la fin des souffrances.
L’ange, tenant une balance et une flèche d’or,
A examiné les fillettes et les a réparties.
Elles suivront à partir de maintenant des cours de formation,
Petites et grandes dans des classes séparées…

Les auteurs de la légende nous ont offert deux interprétations différentes de la fin du du récit.
La première version, là où il y a le pont, levé ou baissé, se tiennent les personnages de l’illustration. En d’autres termes, tout nouvel arrivant n’est pas assuré d’entrer.
La seconde version proposée, il semblerait que le pont mène à l’entrée du palais, et que les enfants sont en route pour y accéder. Réussiront-ils à passer ? C’est clair que chacune des versions est possible. Et c’est peut-être ce double volet qui fait le charme de la légende…