10 juin 1943

Drancy, France

"J'espère que les choses ne seront pas pire qu’à Drancy, et que ce sera pour le mieux."

Rosette (Roza) Bomblat, une militante de l'organisation de secours "Amelot" à Paris a 19 ans quand elle écrit ces mots à sa famille, environ deux semaines avant d'être déportée vers Auschwitz.

Rosette Bomblat, la dernière lettre d'une militante

Avant la Seconde Guerre mondiale, la famille Bomblat habite rue du Faubourg-Saint-Martin à Paris. Les parents Shimon et Gitel ont émigré de Pologne en France avec leur fille Sara au début des années 1920. A Paris, ils ont trois autres enfants - Rosette, Suzanne-Naomi et Henri-Chaim. Shimon gagne sa vie dans le commerce et Sara travaille avec lui dans leur magasin.

Avec l'invasion allemande, la famille fuit vers le Sud de la France, avant de revenir à Paris quelques semaines plus tard. En octobre 1941, la police française se présente au domicile familial pour arrêter Shimon, qui se trouve alors au magasin. Sa fille Sara est avec lui, elle lui déconseille de rentrer à la maison. Shimon se réfugie dans le village de Montsûrs, où il sera caché par Ferdinand et Armandine Chassaing, plus tard reconnus comme Justes parmi les nations.

Le matin du 16 juillet 1942, avant que ne débute la tristement célèbre rafle du Vel d'Hiv qui débouchera sur l’arrestation et l’incarcération de quelque 13 000 Juifs de Paris et ses environs, Armandine Chassaing se rend à Paris et parvient à emmener Suzanne, 12 ans, et Henri, 9 ans, auprès de leur père à Montsûrs. Gitel et les filles aînées restent dans l'appartement parisien.

Peu de temps après le départ des enfants, des gendarmes français toquent à la porte de l'appartement des Bomblat. La famille avait un code de reconnaissance secret pour frapper. Les gendarmes l’ont utilisé, vraisemblablement informés par le gardien de l'immeuble. En ouvrant, Sara fait signe à sa sœur Rosette d'évacuer leur mère par la porte de service, vers l'appartement des voisins, qui accepteront de la cacher. Sara et Rosette sont arrêtées et emmenées. Sara est internée à Drancy, tandis que Rosette, de nationalité française, est libérée et autorisée à rentrer chez elle.

Gitel et Rosette rejoignent alors le reste de la famille à Montsûrs. Deux semaines plus tard, Rosette retourne à l'appartement parisien pour tenter d'aider sa sœur Sara. Sara parviendra à envoyer quelques lettres de Drancy avant sa déportation vers Auschwitz, le 23 septembre 1942.

Rosette rejoint alors l'organisation "Amelot", qui aide à cacher et à sauver des enfants juifs. Pendant les fêtes de Pessah (Pâque) 1943, elle rend visite à sa famille à Montsûrs. La dernière fois qu’elle les verra. Le 9 juin 1943, elle est arrêtée par la police française et envoyée à Drancy. Son nom figurait sur une liste d'employés d'Amelot ; d'autres membres de l’association sont arrêtés avec elle. Le 23 juin, Rosette est déportée à Auschwitz.

Shimon, Gitel, Suzanne-Naomi et Henri-Chaim resteront cachés dans le village jusqu'à la Libération. Ils entreprendront tout ce qui est en leur pouvoir pour savoir ce qui est arrivé à leurs filles, et finiront par découvrir que Rosette, tombée malade, a péri à Auschwitz, peu de temps avant la libération du camp.

En 1948, Suzanne immigre en Israël par le biais de l'Aliyah pour les jeunes, suivie en 1950 par Shimon, Gitel et Henri-Chaim.

En 1955, Shimon Bomblat a rempli des Feuilles de Témoignage à la mémoire de ses filles, Sara et Rosette, assassinées à Auschwitz. En 2002, la famille a publié un livre, En Leur Memoire, contenant des copies de leurs dernières lettres. En 2015, Suzanne-Naomi Friedman et Henri-Chaim Bomblat ont fait don des lettres originales à Yad Vashem pour la postérité.

Paris, le 10 juin 1943

Mes très chers. Une lettre officielle enfin qui va pouvoir vous donner de mes nouvelles. Surtout ne vous faites pas de mauvais sang à mon sujet. Je suis toujours en bonne santé et le moral ma foi n’est pas du tout mauvais car j’ai rencontré énormément d’amis dont Madame Rapaport avec Monsieur Ors. Madame Rapoport m’a certifié que pendant le temps de ma captivité, elle sera ma seconde maman. Je mange et dors à côté d’elle. La cuisine n’est pas mauvaise, cela peut aller. Je vous envoie une étiquette vestimentaire. Ne vous inquiétez pas si vous ne trouvez pas tout ce que j’ai demandé, trouvez-moi surtout une grande valise. Papa vous remboursera. Je sais maintenant pourquoi j’ai été prise comme tous ceux de la rue Amelot. Etant inscrite dans les livres de paye, on est venu me chercher comme tous les employés. Moi ici j’ai essayé de faire quelque chose au service social. Il m’a été répondu que toutes les démarches devaient se faire au dehors. Aussi, Sophie [Sophie Goldberg, la sœur de Félix Kalbnof, le fiancé de Sara Bomblat] essayait de faire quelque chose par l'UGIF [l'Union générale des Israélites de France] en leur disant que je ne travaillait (sic) plus depuis trois mois. Enfin, pour moi, je souhaite de ne jamais être plus pire qu’à Drancy et cela sera très bien. La seule chose, c’est de vous que je me fais du mauvais sang et je voudrais déjà savoir que vous êtes en bonne santé et que vous avez pris ce nouveau malheur avec calme. Surtout gardez votre santé et votre espoir. Moi maintenant je ne vit (sic) que pour le jour où nous serons de nouveau tous ensemble. Vous entendez tous les deux, Simon et Juliette, il faut garder votre courage et votre santé. Sachez que nous n’en avons plus pour longtemps et vous, Suzanne et Henri, remontez le moral à nos chers parents et veillez sur eux comme sur vous même (sic). Quand (sic) à vous chers amis allez si possible rejoindre Monsieur Legrand cela est préférable pour la santé de tout le monde car ici il y a beaucoup de bruits qui courent, aussi ne faites pas comme moi, ne tardez pas. J’ai rencontré aussi le neveu a (sic) Alperin ainsi que la sœur à (sic) Madame Boris et beaucoup de camarades à (sic) Sarah qui travaillaient avec elle. Ne m’oubliez pas, je vous embrasse tous bien fort, Rosette.

Rosette Bomblat, la dernière lettre d'une militante
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