26 juillet 1944

Drancy, France

« Dans une semaine, tu auras ta fête, comme j’aurais voulu être auprès de toi, de vous, pouvoir t'embrasser et jouer avec toi... »

Léo Cohn, l'un des dirigeants des Eclaireurs israélites de France, a écrit ces quelques lignes le 26 juillet 1944 à l’attention de son fils Ariel, âgé de quatre ans. Cinq jours plus tard, le 31 juillet, Léo Cohn était expulsé par le dernier train en partance de Drancy pour Auschwitz.

Léo Cohn, les adieux d'un leader des EIF

Né à Lübek, en Allemagne, Léo Cohn émigre à Paris en 1933. En 1936, il épouse Rachel Schloss, également d’origine allemande. Le couple a trois enfants : Noémie (née en 1938), Ariel (né en 1940) et Aviva (née en 1944). Dès son arrivée en France, Léo s’implique dans la direction des Eclaireurs israélites en France (EIF). Sous sa guidance spirituelle, le mouvement scout embrasse les valeurs juives, l’amour de la religion et d'Eretz Israël (alors Palestine mandataire).

Léo Cohn enseigne l’hébreu et fonde également la chorale des scouts et son répertoire de mélodies religieuses et de chansons d'Eretz Israël.

En 1939, il est enrôlé dans la Légion étrangère. Après sa démobilisation, il part avec sa famille pour Moisac, et de là s’installe dans une ferme à Lautrec. Avec l'occupation du nord de la France en mai 1940, le mouvement des scouts de zone libre met en place un réseau de sauvetage. Puis, suite à l'occupation de la zone sud (sous contrôle du régime de Vichy) par l'Allemagne nazie en 1942, les Eclaireurs israélites vont également initier une résistance armée.

Le 2 mai 1944, Rachel et ses trois enfants passent clandestinement en Suisse. Léo reste en France occupée et poursuit ses activités de leader spirituel. Le 16 mai, alors qu'il tente de faire sortir de France, clandestinement, un groupe d'enfants, il est interpellé. Interrogé par la Gestapo, il sera envoyé à Drancy, puis déporté à Auschwitz.

En mai 2018, dans le cadre du projet national "Rassembler les fragments", deux agendas ont été confiés à Yad Vashem, qui viennent documenter le quotidien du foyer pour enfants juifs de Chardonne, en Suisse, pendant la Shoah. Une institution gérée selon les principes juifs et les valeurs du scoutisme.

Les cahiers de bords ont été donnés par Rémy Taϊeb, fils de Susan Marburger (Taϊeb-Levy), qui a travaillé comme éducatrice au foyer pour enfants de Chardonne. Née à Berlin, après avoir fui l’Allemagne avec ses parents et connu plusieurs mois d’errance, Suzanne n'a que 16 ans lorsqu'elle arrive dans cette maison d’enfants, après avoir elle-même passé quelques temps auprès des Eclaireurs israélites de Toulouse.

Dans l'un des journaux, une page datée de novembre 1944 décrit une activité consacrée à Léo Cohn. On peut y lire : “En chemin, Suzanne nous a racontée (sic) les malheurs de la France et de nos grands chefs E.I.F... Ensuite, nous nous sommes groupés autour de Suzanne qui nous a lue (sic) la lettre d'adieu que Léo Cohn nous a adressé (sic) la veille de son départ pour l’inconnu. Après cette lecture émouvante, nous avons chanté : Loin dans l’infini s’étendent…”

Voici ce que Léo Cohn écrivait de Drancy aux jeunes du mouvement, le 30 juillet 1944, jeûne de Tisha B'Av, veille de sa déportation pour Auschwitz :

"Malgré tous nos espoirs dans la rapide évolution des événements, on a encore le temps de nous déporter. Tant pis ! Les voyages forment la jeunesse, ce ne sera peut-être pas long. Je ne crois plus que ce sera insupportable. Vous au moins tenez bon, et faites l’impossible pour ne pas tomber dans leur filet. Mais sachez que la porte de la prison une fois fermée sur vous, malgré tout la vie est plus facile, réglée et creuse qu’au dehors, plus clémente qu’on se l’imagine… C’est ici qu’on prouve à chaque instant si on est profondément juif et SCOUT, si on est humain, dans le meilleur sens du mot.”

Léo sera assassiné pendant la Shoah. Sa femme et ses trois enfants, Noémie, Ariel et Aviva, survivront et immigreront en Israël.

En 2011, Noémie Cassuto, la fille de Léo Cohn, a rempli une Feuille de témoignage à Yad Vashem, à la mémoire de son père. En 2018, Ariel Cohn, le fils de Léo, a fait don de la dernière carte de vœux envoyée par son père, à l'occasion de son quatrième anniversaire.

Mercredi 6 Av 1944

(Drancy, 26 juillet 1944, 4 jours avant d’être envoyé à Auschwitz)

 

Mon cher Ariel,

Dans une semaine, tu auras ta fête, comme j’aurais voulu être auprès de toi, de vous, pouvoir t'embrasser et jouer avec toi... Maintenant, il ne me reste qu’à t’offrir ce petit mot, ce petit signe de vie.

A bientôt, je vous embrasse tendrement.

Ton papa

Lettres d'adieux d'un leader des EIF
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