Fin juin ou début juillet 1944

Prison du Pax, Annemasse, France

« Moi, je suis une “femme fichue” d’après le chef de la maison, ce qui veut dire Montluc ou Compiègne… »

Marianne Cohn, membre de la résistance, a écrit ces mots de la prison du Pax, à Annemasse, à son camarade et supérieur, Emmanuel Racine. Marianne a été assassinée pendant la Shoah. Emmanuel a survécu.

Marianne Cohn, dernière lettre d'une résistante

Marianne Cohn, fille du Dr Alfred et de Gerta (née Radt) Cohn, voit le jour en 1922 à Mannheim, Allemagne, avant de déménager à Berlin. Avec l’accession au pouvoir du parti nazi, la famille part trouver refuge en Espagne, puis s’installe en France.

C’est là que Marianne devient active au sein du mouvement des scouts juifs, les Eclaireurs israélites de France (EIF) avant de rejoindre, en 1942, le mouvement de la jeunesse sioniste (MJS). En 1943, elle est établie dans la ville de Grenoble. Des résistants - dont Mila Racine - viennent d’être arrêtés pour avoir fait passer illégalement un groupe d'enfants en Suisse. Marianne est alors invitée à prendre le relais de Mila. Elle reçoit de faux papiers au nom de Marie Colin et réussit à faire transiter plusieurs groupes d'enfants de l'autre côté de la frontière suisse. Jusqu’au 31 mai 1944.

Ce jour-là, cachée dans un camion, accompagnée de 28 enfants de 4 à 15 ans, Marianne est capturée par une patrouille allemande. Elle tente de les convaincre que le groupe se rend dans un lieu de villégiature de la région. En vain. Elle et les enfants seront envoyés à l'hôtel du Pax d'Annemasse, dont une partie de l’établissement a été convertie en prison par la Gestapo.

Jean Deffaugt, le maire d'Annemasse, va réussir à faire libérer les enfants les plus jeunes. Il fera également en sorte que Marianne et les 11 autres, plus âgés, puissent travailler en ville. Chaque soir, ils doivent rentrer en prison. Dans les lettres, rédigées depuis sa cellule, Marianne exprime l’incertitude sur son sort et sa grande préoccupation au sujet des enfants.

Ses amis résistants élaborent un plan pour la faire évader. Ils lui suggèrent de se faire hospitaliser, pour organiser une évasion de l’hôpital, beaucoup plus envisageable que de prison. Marianne refuse, par crainte de représailles sur les enfants. Elle rejettera toutes les tentatives de sauvetage qui lui seront proposées.

Le 8 juillet 1944, Marianne est emmenée de la prison, torturée et brutalement assassinée par des miliciens français. Son corps sera découvert après la guerre.

La totalité des 28 enfants arrêtés avec Marianne ont survécu, à Annemasse. En 1966, le maire Jean Deffaugt a été reconnu par Yad Vashem comme Juste parmi les nations.

Les parents et la soeur de Marianne - Lisa Souris - ont également survécu.

En 1977, John Henry Richter a rempli une Feuille de Témoignage à Yad Vashem en mémoire de sa cousine Marianne Cohn. En 2016, Daniella Wechsler-Racine, fille d'Emmanuel Racine, a fait don à Yad Vashem de lettres et de photographies de Marianne, pour la postérité, dans le cadre du projet national "Rassembler les fragments".

Prison du Pax, Annemasse
Fin juin ou début juillet 1944

Mon cher Mola,

Ça me fait un drôle d’effet de te savoir là. Si tu veux, essaye de nous voir demain matin, M. t’expliquera.

Ce que je pense de la situation : ils n’attendent que des ordres pour expédier les gosses à Dr. [possible référence au camp de Drancy]. Moi, je suis une “femme fichue” d’après le chef de la maison, ce qui veut dire Montluc [prison] ou Compiègne [camp d'internement]… Mais pour moi ce sera bien plus long que pour les 12. Plus ça va bien, plus j’ai peur pour eux. C’est pourquoi il faut absolument faire quelque chose pour eux.

On ne m’a rien dit pour la lettre, j’ai su par le chauffeur. On ne m’interroge plus. On essaie de me tenir loin des gosses. Je n’ai reçu ni visite ni livre de prières.

Contrairement à ce que je t’ai écrit, l’enquête au sujet de Marie-Anne semble s’être bien passée.

Ravitaillement interdit pour les gosses, on m’a fait une scène épouvantable à cause du beurre il y a 3 jours. Moi je peux recevoir tout ce que je veux.

A part ça, tout va bien. On travaille pas mal et les gosses en sont contents.

Hôpital impossible. Et de toutes façons pas la peine.

Merci tout spécialement pour le savon arrivé juste au bon moment. Et pour tout le reste…

Et bien amicalement à tous. A bientôt ?

P.S. Personne en dehors des enfants ne sait l’existence de Marianne.

Marianne Cohn, dernière lettre d'une résistante
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